Qu'est-ce qu'une miction dysfonctionnelle ?

La miction non coordonnée ou miction dysfonctionnelle consiste à "faire pipi en serrant les fesses". Ce phénomène a été beaucoup étudié chez les enfants, mais beaucoup moins chez les adultes. On sait qu'il s'agit d'une cause très fréquente d'infections des voies urinaires, d'incontinence diurne ou d'énurésie nocturne. Dans certains cas, elle peut également provoquer des douleurs urétrales ou pelviennes. 

     Elle peut être diagnostiquée par différentes méthodes. Bien que la plus fiable soit le bilan urodynamique, qui consiste à utiliser une sonde vésicale et une autre rectale pour prendre des mesures, il s'agit d'une méthode invasive qui n'est généralement pas utilisée comme premier test diagnostic. Souvent, on effectue tout simplement une débitmétrie avec EMG périnéal. Il s'agit d'un test au cours duquel on demande au patient d'uriner dans un appareil qui ressemble à des toilettes, tandis que l'ordinateur connecté à l'appareil forme un graphique qui mesure le temps et la force de l'écoulement de l'urine. Avant que le patient n'urine, des électrodes sont placées sur le périnée pour mesurer l'activité musculaire, ce qui permet de savoir si les muscles sont détendus ou contractés pendant la miction. Il s'agit d'une technique simple et non invasive qui nous donne beaucoup d'informations. En fait, je l'utilise tous les jours dans ma pratique clinique. Ce que je constate habituellement, surtout chez les femmes où la prostate n'est pas un " facteur de confusion ", ce sont divers schémas de miction :

  • Les patients ayant une miction "normale" où l'on observe une courbe en forme de cloche et un plancher pelvien bien détendu.
  • Les patients présentant une miction "en stacatto", où l'on observe une courbe en dents de scie et un plancher pelvien qui effectue de puissantes contractions phasiques pendant que le patient urine.
  • Les patients présentant une miction fluctuante ou une diminution du débit et un plancher pelvien dont la contraction tonique ne change pas avant, pendant ou après la miction.

     Les deuxième et troisième cas sont en fait des moments évolutifs différents du même problème. Au début, lorsque la miction n'est pas coordonnée, nous trouvons le deuxième schéma. La vessie a la force de pousser fort, même si le plancher pelvien effectue des contractions phasiques, et parvient à se vider complètement, souvent. Le troisième schéma est un stade évolutif plus avancé où, après des années d'efforts pour se vider, le muscle détrusor de la vessie finit par s'affaiblir, comme c'est le cas chez les hommes qui souffrent d'hypertrophie prostatique depuis longtemps. La vessie finit par perdre sa force et la miction est lente, faible et souvent incomplète. De même, le plancher pelvien, après des années de contraction excessive, perd sa fonction, notamment en matière de relaxation, et reste dans un état de contraction tonique permanent. Lorsque nous pratiquons la rééducation mictionnelle pour apprendre aux patients à détendre leur plancher pelvien, c'est généralement l'inverse qui se produit. Les personnes présentant le troisième schéma passent au deuxième schéma après quelques mois, puis du deuxième au premier. Cela s'explique par le fait que les muscles retrouvent progressivement leur fonction.

Pourquoi la miction non coordonnée se produit-elle ?

     Abordons maintenant les causes de la miction dysfonctionnelle d'origine "non neurologique". Ce problème est multifactoriel. Il peut être simplement dû à un réflexe mal acquis au moment du retrait des couches, où l'enfant n'automatise pas le relâchement volontaire du sphincter externe lors de la miction, et a tendance à faire l'inverse, en contractant le plancher pelvien lors de la miction. Il s'agit souvent d'enfants qui ont été assez précoces dans le retrait des couches (vers l'âge de deux ans ou plus tôt) et qui ont l'habitude de presser leur ventre pour uriner. Ce sont généralement d'enfants qui se retiennent, sur lesquels il faut beaucoup insister pour qu'ils aillent aux toilettes, et qui présentent souvent une constipation, en raison du même mécanisme (ils ne savent pas comment détendre correctement le sphincter anal lors de la défécation). Ils peuvent avoir une bonne continence diurne et nocturne, ou une bonne continence diurne mais mouiller lit. Parfois, ils présentent également des symptômes d'hyperactivité vésicale (petites fuites d'urine pendant la journée, enfants qui croisent souvent les jambes pour éviter de se mouiller, ou épisodes de “jiggle incontinence” ou incontinence du fou rire). Chez ces enfants, il n'y a généralement pas de cause organique, et l'on sait que le traitement le plus efficace est la rééducation mictionnelle par un physiothérapeute ou une infirmière spécialisée, avec un programme informatique "biofeedback". Ce logiciel permet de modifier l'automatisme et d'amener le patient à relâcher correctement le sphincter pendant la miction. Il est important de traiter les enfants atteints de ce problème, car on sait que s'ils n'ont pas reçu de traitement, le risque d'avoir des problèmes de miction à l'âge adulte est très élevé. D'ailleurs, je demande toujours aux patients qui consultent pour des infections urinaires s'ils ont eu des problèmes de miction dans l'enfance ou l'adolescence, et ils me disent souvent qu'ils ont eu des infections ou qu'ils ont fait pipi au lit, mais que cela n'a jamais été traité. Beaucoup évoquent également une constipation chronique "depuis toujours".

     Une autre cause de miction non coordonnée est la rétention urinaire, qu'elle soit volontaire (personnes qui reportent le moment d’aller aux toilettes parce qu'elles sont occupées ou parce qu'elles n'aiment pas utiliser les toilettes publiques, par exemple) ou liée au travail, car certains emplois ne nous laissent pas la liberté d'aller aux toilettes quand nous en avons besoin. Ces personnes ont généralement une capacité vésicale énorme, elles peuvent stocker plus d'un demi-litre d'urine sans presque avoir envie d'uriner. Elles ont tendance à contracter volontairement le sphincter pour "retenir l'envie", ce qui finit par devenir un réflexe. Ensuite, lorsqu'elles doivent le relâcher pour uriner, elles n'y parviennent pas et serrent souvent, volontairement ou involontairement, leur ventre pour uriner, ce qui provoque une nouvelle contraction du sphincter. Elles se plaignent parfois de petites fuites d'urine "paradoxales". En effet, constamment contracté, le sphincter perd la capacité d'effectuer une contraction maximale lorsque la pression abdominale augmente (les trois positions du sphincter, vous vous souvenez ?). Ainsi, lorsqu'elles s'efforcent, toussent ou rient, elles perdent un peu d'urine, même si leur sphincter est très fort. C'est un problème car de nombreuses femmes souffrant de mictions non coordonnées, qui ne s'accompagnent pas d'infections mais de fuites urinaires, consultent un gynécologue ou un urologue à cause de ce problème. Si la miction dysfonctionnelle n'est pas suspectée et qu'une débitmétrie EMG ou un bilan urodynamique n'est pas réalisé , ces femmes risquent de subir une intervention chirurgicale (bandelette sous-urétrale) inutilement, alors que le problème n'est pas un déficit du tonus des muscles du plancher pelvien, mais plutôt l'inverse. En général, l'état de ces patients ne s'améliore pas après l'opération, ou bien il s'améliore, mais l'incontinence réapparaît plus tard et s'accompagne d'autres problèmes tels que des infections, des douleurs ou une rétention urinaire.

     Une perte de la statique pelvienne peut également entraîner un dysfonctionnement de la miction. Il est important de savoir que la statique pelvienne dépend de l'état des muscles pelviens, mais aussi des muscles abdominaux, lombaires et du diaphragme, ainsi que de l'équilibre de la partie osseuse, en particulier du bassin et des hanches. Tout problème qui déséquilibre cette partie peut entraîner un dysfonctionnement des muscles du plancher pelvien. Il peut s'agir par exemple d'un accouchement ou d'une intervention chirurgicale pelvienne ou abdominale (par voie vaginale, périnéale ou abdominale), d'une hyperpression abdominale provoquée par une toux chronique ou un exercice physique très intense, ou encore d'altérations squelettiques ou motrices des membres inférieurs. Lorsqu'une personne souffre de douleurs ostéo-articulaires à la hanche, au genou, au pied, etc., elle adopte souvent ce que l'on appelle une "posture antalgique" pour éviter la douleur lors de l'appui sur ce membre. Il en va de même si l'un des deux membres inférieurs est plus court que l'autre, soit naturellement, soit à la suite d'un traumatisme ou d'une intervention chirurgicale. Dans tous ces cas, le bassin ne sera plus horizontal et basculera d'un des deux côtés, rompant l'équilibre et la statique pelvienne (c'est ce qu'on appelle la dysmétrie de hanche). J'ai eu de nombreux patients qui ont commencé à souffrir d'infections urinaires, d'incontinence, de rétention urinaire ou fécale immédiatement après avoir eu un tel problème, et ils se sont beaucoup améliorés avec de la physiothérapie pour leur douleur ou avec l'utilisation d'une semelle orthopédique pour rééquilibrer la hanche.

     J'aimerais mentionner d'autres causes de miction non coordonnée telles que la douleur ou les problèmes psychologiques. Il s'agit de patients qui ont souffert d'un problème local (infection grave, chirurgie douloureuse, traumatisme, agression sexuelle ou autre) et qui, en raison d'une douleur persistante ou comme mécanisme de défense, ont développé une hypertonie des muscles du plancher pelvien. Il s'agit d'une situation compliquée, car au problème musculaire et de coordination s'ajoutent des facteurs psychologiques qui surchargent beaucoup les patients et qui doivent être traités en même temps, sans quoi il n'y aura pas d'amélioration. Je tiens à préciser que le stress émotionnel peut être une cause importante de la miction non coordonnée, qui agit au niveau des deux sphincters. Le sphincter interne est contrôlé par des récepteurs "alpha adrénergiques" situés dans le col de la vessie. Ces récepteurs nerveux répondent aux ordres du système sympathique par l'intermédiaire du neurotransmetteur noradrénaline (cousin de l'adrénaline). Le système sympathique est la partie du système nerveux autonome qui est activée dans les situations de stress et de vigilance. Ainsi, dans une situation de stress chronique, notre système sympathique sera constamment suractivé et enverra beaucoup de noradrénaline à notre sphincter interne, l'empêchant de se détendre. Cela est logique si l'on réfléchit à l'utilité de la réponse sympathique d'un point de vue évolutif, car lorsque nous étions des hominidés préhistoriques, cette réponse était activée lorsque nous nous sentions menacés par un danger tel que l'attaque d'un animal sauvage, par exemple. À ce moment-là, on ne songeait pas à uriner, bien sûr. Notre système sympathique nous poussait donc à retenir notre urine (et nos fèces aussi, d'ailleurs), pour s’assurer qu’à ce moment précis on s’occupe de nous sauver ou de nous battre et non pas de nous soulager. Le problème est que le stress chronique actuel suractive notre système sympathique et provoque une certaine hypertonie chronique du sphincter interne de la vessie. Le sphincter externe est également affecté par cette réponse car, bien qu'il soit contrôlé par le nerf pudendal plutôt que par le système sympathique, on sait que certaines des fibres musculaires des deux sphincters sont entremêlées et agissent souvent ensemble.

Pourquoi un manque de coordination dans la miction peut-il entraîner des infections urinaires ?

Par quel mécanisme le manque de coordination des mictions provoque-t-il des infections urinaires ? Vous vous posez la question. Il est évident que si une personne ne parvient pas à vider correctement sa vessie en raison de ce dysfonctionnement mictionnel, et qu'il y a toujours de l'urine bloquée à l'intérieur, elle sera plus exposée au risque de souffrir d'infections, car l'urine sera pleine de bactéries qui ne sont pas éliminées à chaque miction. Mais qu'en est-il de toutes ces personnes qui ont une miction dysfonctionnelle mais qui parviennent à vider complètement leur vessie ? Qu'en est-il de celles qui ont une miction non coordonnée mais qui n'ont pas d'infections ? 

     Le mécanisme est facile à comprendre. Lorsque l'urine passe dans l'urètre lors de la miction, s'il y a une contraction simultanée du sphincter, l'urètre va être "étranglé" et l'urine, surtout les dernières gouttes, va faire des mouvements de "haut en bas", un peu à la manière d'un compte-gouttes. Elle atteindra ensuite le vagin, où elle sera contaminée par des micro-organismes locaux, puis sera absorbée dans la vessie, emportant ces germes avec elle. Si le microbiote vaginal est composé de lactobacilles protecteurs, l'infection urinaire ne se produira pas, même en cas de miction désordonnée. Mais si le vagin contient des bactéries uropathogènes, celles-ci passeront dans la vessie par ce phénomène de "compte-gouttes" et provoqueront probablement une infection. Par conséquent, pour qu'une infection urinaire se produise dans ces cas, il faut que deux circonstances soient présentes en même temps : une miction dysfonctionnelle et une dysbiose vaginale.

     En conclusion, la miction non coordonnée d'origine non neurologique est une pathologie extrêmement fréquente. Elle débute souvent dans l'enfance ou l'adolescence mais, si elle n'est pas symptomatique, elle passe totalement inaperçue jusqu'à l'âge adulte ou la vieillesse, où elle commence à poser des problèmes. Dans ma pratique clinique, j'effectue régulièrement une débitmétrie EMG sur les personnes qui consultent pour des infections urinaires, et environ neuf sur dix ont une miction dysfonctionnelle. Dans d'autres articles, j'aborderai certaines stratégies de traitement de ce problème courant.